Il y aura toujours des nuages

L’utopie qui marque l’urbanisme et l’architecture des Trente Glorieuses peut être résumé par une juxtaposition du naturel et de l’artificiel. L’habitat que les urbanistes concoivent est censé répondre à tous les besoins de la communauté. Une méthode rationnelle d’aménagement de la vie des citoyens porte à une logique de classement des exigences, dont le dessin de zones urbaines constitue une réponse. Espaces publics, aires de jeux, parking, parfois services publics et commerces occupent des espaces définis et séparés des logements; la ville naît d’un plan préalable.

L’objectif de loger des milliers d’habitants est atteint grâce aux grands ensembles. Qu’il s’agisse de tours ou des grandes barres, la conception des immeubles suit une logique fonctionnelle d’efficacité et d’économie de la surface au sol. Une seule variable empêche l’utopie d’être réelle: le temps. Sur les façades des bâtiments, au fil des années, s’inscrit l’effacement de la matière artificielle. La chimie des éléments refuse l’ordre imposé, le sel ressort du béton brut; l’effet du cycle de l’eau provoque lentement – d’abord imperceptiblement – des dégâts en profondeur dans les structures architecturales. Gel et dégel, pluie, soleil, vent, perpétuent constamment, leur rituel de déconstruction de l’artificiel. Le « naturel » a la capacité à détruire « l’artificiel », de manière lente et imperturbable.

L’artificiel redevient naturel, se transforme, s’effrite. L’idée, comme à Nanterre, de créer une ville faite de nuages est une utopie, comme celle de rendre le naturel artificiel et vice et versa. La planification rationnelle de l’espace et son occupation théorique se confronte aux usages humains : plusieurs quartiers sont parsemés de chemins qui se sont créés dans les espaces verts en dehors des axes imaginés.

Les nuages de Nanterre apparaissent ainsi comme une métaphore de l’utopie architecturale des Trente Glorieuses, ainsi que sa dissolution. Les nuages, évoqués sur les surfaces des tours par des milliers de tesselles de mosaïque, sont in fine la ruine de cette environnement artificiel;  ils sont à la fois éléments créateurs et éléments destructeurs de la ville. Une « pluie » de petits carreaux de verre colorés tombe toujours sur la dalle bosselée du quartier : l’entropie naturelle agresse l’idéal artificiel, le rend impossible. L’idéal devient obsolète.

Ainsi s’exprime cette opposition entre deux éléments en lutte, en tension : l’aspiration à l’idéal et l’effondrement de la ruine. Le contraste se fait jour : organique contre industriel, temps réel contre temps du rêve.

Texte écrit par Laura Hirennau avec la contribution théorique de Gabriel Pacheco.